Interview
« Le mime est un grand révélateur
du rapport des gens à leur imaginaire. »
Entretien avec Cécile Ghrenassia, professeure de mime.
« Le mime est un grand révélateur
du rapport des gens à leur imaginaire. »
Entretien avec Cécile Ghrenassia, professeure de mime.
LE 24/01/2025
INTERVIEW PAR LÉA MADONIA
POUR LE COURS DE PRESSE ÉCRITE
DE L’ESJ PARIS.
On a tous en tête le personnage du mime au visage blanc. Ancienne élève du pionnier français, le mime Marceau, Cécile Ghrenassia est aujourd’hui professeure de mime au Studio Muller et metteuse en scène de plusieurs pièces de théâtre. Elle nous parle de l’univers et de la pratique du mime, une discipline ludique qui fait travailler les imaginaires des petits et des grands mais qui, perçue comme désuète, pourrait bientôt disparaître.
Bonjour Cécile. Comment s’est déroulé votre rencontre avec l’univers du mime ?
C.G : Ce que je connaissais du mime, sans pouvoir le nommer comme tel, c’était le film Les enfants du paradis de Marcel Carné. Après, je suis arrivée à l’école du mimodrame Marcel Marceau un peu par ricochet car je connaissais le mime mais pas particulièrement Marceau. C’est un peu la honte mais bon. C’était une année où je passais plein de concours pour les écoles de théâtre et j’avais récupéré une brochure pour chaque école. Pour entrer à l’école Marceau il fallait préparer une audition un peu différente des autres donc j’ai préparé mon audition à partir d’un livre pour enfant que j’aimais beaucoup et j’ai compris après coup que ce que j’avais fait était très typique de l’univers et des codes du mime. J’avais un goût pour ça sans que ce soit très conscient. En passant l’audition, je me suis sentie bien là-bas et à la fin ils m’ont prise, donc je me suis retrouvée à faire du mime mais ce n’était pas très prémédité.
Quelle est la différence entre mime et pantomime ?
C.G : On me demande souvent quelle est la différence entre les deux. Le mime c’est la technique d’Etienne Decroux qui était le maitre de Marceau. La technique de Decroux est assez épurée et intéresse beaucoup les danseurs modernes et contemporains car il y a une isolation des mouvements, du corps. Chez Marceau, l’approche est plus proche de la pantomime, plus narrative. Le pantomime c’est ce à quoi on pense on quand on dit mime c’est-à-dire le visage blanc et les personnages de Pierrot, de Chaplin. L’approche du mime de Decroux est plus puriste et radicale. Par exemple, chez Etienne Decroux, les mimes portent un bas sur le visage pour ne pas donner accès à leur expression tandis que dans l’écriture de Marceau on utilise beaucoup les mains, on manipule l’invisible, on fait des papillons, on cueille des fleurs, on mange des pommes (rires).
D’ailleurs, pourquoi le mime est caractérisé par cette esthétique de la tête blanche et des yeux noirs?
C.G : En fait, il y a plusieurs esthétiques qui se croisent (fait un mouvement avec ses doigts qui fait une croix). Il y a Pierrot, qui vient de la commedia dell'arte et qui effectivement a la face blanche. Il est l'amoureux éconduit donc il est triste. C’est lui qui a un peu inspiré Marceau à créer son personnage de mime et qui nous reste en tête quand on pense au mime. Il y a aussi cette esthétique du visage blanc dans l’univers du clown.
Le mime a une dimension physique et corporelle bien particulière, comment s’articule-t-elle par rapport à celle du théâtre classique?
C.G : La technique de mime de Decroux cherche la logique géométrique et physique presque scientifique du mouvement. Chez Marceau c’est aussi intéressant car son approche vient chercher la dynamique narrative du mouvement. Quelque part, Decroux est plus prisé des danseurs et Marceau plus prisé des acteurs et pourtant j’aurais tendance à penser que ça pourrait être l’inverse. Car la recherche de Decroux est un mime qui vient chercher les lignes de force, la tension sur le corps au plateau et c’est ce que je fais travailler à mes élèves. Souvent les jeunes acteurs ne savent pas quoi faire avec leur corps sur le plateau, ils sont un peu encombrés, ils disent qu’ils ne savent pas quoi faire avec leurs bras, qu’ils piétinent etc. Le mime Marceau, qui manipule l’invisible et joue dans les métamorphoses de personnages, on va le retrouver tout le temps au théâtre car la construction d’un personnage peut parfois utiliser le mime. On le retrouve aussi dans tous les one man/woman show, quand on va travailler en jeune public, chez les conteurs, les clowns, les marionnettistes, circassiens etc.
“C’est la base du mime pour moi : un
imaginaire et un corps qui l’exprime.”
Donc le mime n’est pas uniquement présent là où il n’y a pas de voix ?
C.G : Non mais c’est vrai que Marceau a un peu enfermé le mime dans une image d’Épinal, il n’était pas très novateur dans le renouvellement du genre. Marceau était très anti-voix et anti-son. Mais à partir du moment où il y a un corps qui raconte quelque chose, qu’il y ait de la voix ou pas, c’est du mime. C’est juste qu’il y a tellement de mime partout qu’à un moment on ne le dit plus. (rires). Il y a plein d’acteurs qui vont avoir de bons réflexes de mime parce qu’ils ont un corps disponible, un imaginaire hyper puissant et ils font coller les deux ensembles. C’est la base du mime pour moi : un imaginaire et un corps qui l’exprime. C’est vrai qu’on a tendance à séparer le théâtre parlant du mime mais cette ligne de partage des eaux me dérange car elle dessert autant les acteurs à texte car ils ont tendance à couper la tête du corps, que les mimes car ils se mettent à part du théâtre avec un grand T, ce qui est dommage.
Par rapport au théâtre, le mime apparaît comme un art plus manuel, artisanal, qu’en pensez-vous ?
C.G : Alors c'est marrant que tu dises ça parce que moi je sais que c'est ce qui m'a vraiment marquée à l'école Marceau, le côté artisanal de cette pratique. A l’époque, je sortais du cours de théâtre privé, où on était assis et chacun passait à la suite, on ne pensait que texte, texte, texte et où le corps... (mime quelque chose d’invisible avec les mains). Quand je suis arrivé dans cette école où on travaillait le corps sans cesse et où il y avait des corps qui venaient du monde entier, ça m'a donné une approche du jeu, du plateau, de « l’être en scène » complètement différente de ce à quoi j'avais été biberonnée. J’ai adoré ce côté très artisanal d’être au plateau. Il ne suffisait pas d’avoir appris son texte et de le balancer en attendant la grâce. Il y avait vraiment l'idée d’un savoir- faire.
De quoi relève ce savoir-faire ?
C.G : Je lis justement un livre super sur l'entrainement de l'acteur. Les femmes qui ont écrit ça posent vraiment ce terme de savoir-faire. Il y a des compétences de l'acteur qu'il faut nommer, qu'il faut entraîner. Dans le livre elles parlent du fait que c’est incroyable de voir des musiciennes ou des danseuses pratiquer leur instrument mais pas des acteurs. C’est un impensé de l’art de l’acteur, surtout dans la culture française. Quand je suis arrivée au mime, je me suis dit que c’était génial car j'ai appris à jouer, certes sans texte, mais aujourd’hui j’ai développé des outils à partir du mime et à partir du corps qui servent les acteurs à texte.
En général quelles sont les motivations de vos élèves pour commencer le mime? Quels sont leurs profils?
C.G : En général, c'est parce que j'interviens et qu'ils n'ont pas le choix (rires). Les élèves de théâtre classique sont toujours un peu curieux parce qu'ils ont des images dans la tête et ils se demandent si on va faire ça. Il y en a que ça terrorise, il y en a qui en ont déjà fait sans le savoir. Il y a toujours un petit temps où les élèves ont une forme de curiosité de faire exister l'invisible. Il y en a auxquels ça parle plus que d'autres. Après, quand c'est des gens qui se sont inscrits par eux-mêmes à un cours ou un stage de mime, c'est parce qu’ils ont besoin d’insérer un élément de mime dans leur spectacle, parce qu'ils sont improvisateurs et qu’ils ont besoin de fortifier leur technique de mime pour l'impro ou certains sont clowns et le mime leur donne de la précision.
Le mime doit être un peu impressionnant pour les débutants, y a-t-il des rites initiatiques? Avez-vous des méthodes pour les faire démarrer dans la discipline?
C.G : J'ai essayé un truc dernièrement en me rendant compte que j'expliquais beaucoup à mes élèves et que par parfois les explications ça embrouille plus qu'autre chose. Je me suis dit qu’on avait des neurones miroirs et que c'était ça le mime, donc j'ai écrit une petite séquence de mime assez simple, un petit numéro, qui mettait en jeu pas mal d'éléments mime et je l’ai montré sans rien expliquer. Ils ont refait le numéro avec moi sans plus d'explications et après j'ai expliqué. En général, comme ça, ils se rende compte qu’assez rapidement, ils arrivent à faire plein de trucs, plus vite que quand j'expliquais tout. C'est l'effet poulpe, c’est pas mal ça je vais développer (rires).
Vous avez également écrit et co-écrit des spectacles de mime. Comment se déroule l’écriture d’une pièce où il n’y a pas de paroles?
C.G : En effet, ce sont des problématiques, similaires à celles des danseurs, à propos sur comment on écrit, on transmet et on interprète le mouvement. Il y a quelques codes de l’écriture du mime qu’avait essayé de codifier Marceau, le problème c'est qu’il avait fait des catalogues sans fin. Par exemple, il y a la main épervier, la main poulpe, la main poisson, la main parapluie, la main éventails etc. Dans ces cas-là tu as la main crêpes, la main allumettes et tu n’en finis pas (rires). Mais personnellement, je dirais que j’écris le monologue intérieur du mime. Par exemple, en moment je collabore sur trois spectacles très différents : un solo de mime, un spectacle de théâtre d'ombres et un spectacle de théâtre documentaire, et ce n’est pas du tout le même processus d’écriture. C’est un travail complexe. Ce n’est pas de la danse, ni du texte, c’est une écriture du corps au plateau.
“(Le mime) est complètement en train de
s'effacer.”
Que pensez-vous de l’exposition et de la mise en lumière du mime ces dernières années? Diriez-vous que c’est une pratique rare, discrète ou de niche?
C.G : Pour avoir un peu questionné ça pendant des années, il y a des personnes, y compris venant du mime qui nous ont recommandé de ne pas utiliser pas le mot mime dans nos dossiers ou nos présentations parce que les gens voient directement un mec avec le visage blanc en train de faire la vitre. Donc maintenant, il y a du mime partout mais il ne faut surtout pas dire que ça en est. Historiquement, dans les parcours des arts ou des disciplines, il y a le théâtre traditionnel puis le parcours de la danse qui s’est démocratisée et officialisée, et puis s’en sont suivi le cirque et la marionnette. A ce moment-là, le mime aurait carrément pu prendre le même virage. En fait, Marceau n’a jamais rien fait pour diffuser la diversité et la pluralité du mime. Il l’a un peu enfermé dans son image et dans sa façon de faire le mime. Même pédagogiquement, ça a enfermé quelque chose parce qu’il n’a pas ouvert les possibles d'évolution de la technique vers autant de renouvellement, de pluralité, de création qui aurait pu s'appeler mime. En France, beaucoup moins de représentant français passaient les auditions avant que l’école Marceau ne ferme en 2005. Aujourd’hui, je ne sais pas trop qui connaît le mime en France. Quand je demande à mes élèves s’ils ont déjà entendu parler de mime, beaucoup ne connaissent pas. C'est complètement en train de s'effacer. Par exemple, il n'y a plus de diplôme national de mime reconnu par l’Etat. Marceau a à la fois fait rayonner le mime dans le monde entier mais à son image et quelque part, le mime est né et mort avec lui.
Récemment, avez-vous vu des œuvres de théâtre ou de cinéma qui mettaient en scène du mime et qui vous ont touché?
C.G : Oui car du mime il y en a partout mais comme ça ne s’appelle pas du mime on a l’impression qu’il n’y en a nulle part, c'est très paradoxal (elle est touchée). Par exemple, Gad Elmaleh, c’est un super mime. Techniquement, il est hyper bon, ses points fixes sont nickel et d'ailleurs ce qui est incroyable quand on regarde son spectacle, c’est que là où les gens applaudissent le plus, c'est pour le mime. C'est aussi intéressant de voir les derniers spectacles de Florence Foresti car on remarque qu’elle s'est fait violence sur sa pratique du mime. Il y a un vrai contraste avec ses premiers et elle est douée ! Même ce que fait Blanche Gardin, c’est-à-dire rester statique pendant des heures, c'est hyper physique et c’est du mime.
Est-ce que le mime attire les enfants ? Dans leur rapport à l’imaginaire, au mouvement ?
C.G : Les enfants captent et aiment bien regarder du mime mais comme dans tout spectacle, ils ne tiennent pas très longtemps dans le public. J’ai fait pratiquer beaucoup de mime avec des maternelles et en crèche, ça marche super bien parce qu'ils sont hyper réceptifs et captent très bien l'enjeu de l’invisible. Ce qui est marrant avec un public d’enfant c’est qu’ils se posent des questions comme « mais pourquoi est-ce qu'il traverse le mur ? ». La réceptivité des enfants au mime dépend beaucoup de leurs habitudes d’imaginaires. En fait, ce qui est assez fort en mime, en théâtre en général, mais particulièrement en mime, c'est que ça confronte directement à l'imaginaire. C'est aussi pour ça que j'insiste beaucoup dans mes cours là-dessus et je trouve que c'est un grand révélateur du rapport des gens, que ce soit les adultes ou les enfants, à leur imaginaire. Est-ce qu’ils ont un imaginaire qui est extrêmement formaté ou pas ? Est-ce qu'ils ont un rapport libre, souple ou complice avec leur imaginaire ? C’est très fort notamment en maternelle, parce que c'est le moment de l'acquisition du langage et des règles de normalisation du corps, où il faut être assis pour apprendre et faire pipi à heures fixes, des choses comme ça. Intervenir avec l'outil mime dans ces classes et tranches d'âges là est assez précieux parce que parfois ça peut être l'endroit où ils ont un autre accès à l'apprentissage et au langage que dans le cadre classique de la classe.
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